Cher journal de bord,
Je m’appelle Lohvina Farden, j’ai vingt ans et je suis une elfe. A l’origine, j’étais apprentie magicienne, à quinze ans, dans le royaume elfique, Mysiel. Je vivais une vie tranquille à Lonia avec mon oncle Hirar, ma tante Numiel et ma cousine Dorale. Mon oncle était maréchal ferrant et avait une écurie au village ainsi que deux chevaux, Luxus et Poussière d’Etoile. Ma tante travaillait à la guilde des tisserandes. Et pour finir ma cousine, qui n’était pas plus haute que moi, avait dix-huit ans. Cela faisait six mois qu’elle avait terminé son apprentissage et qu’elle allait tous les jours s’entraîner avec le groupe des archers. Nous étions très complices et avions passé toute notre enfance ensemble. Mon oncle ne m’avait jamais raconté pourquoi mon père, Elul, m’avait laissée chez lui, mais cela me plaisait de vivre ainsi. Nous habitions dans une petite cabane en bois avec un toit en paille et en branches, au centre de ce petit village pacifique où tout le monde se connaissait, du forgeron à la boulangère, en passant par le marchand de poissons et la vendeuse de tissus brodés. Ici, les hivers étaient rigoureux, mais on arrivait toujours à s’en sortir avec le gibier que ramenait Dorale.
Tout se passait bien au village, ce petit village calme où j’ai vécu toute mon enfance. Jusqu’au jour où…ce jour maudit, jour où j’ai tout perdu. Les Fratzes avaient fait le voyage jusqu’à Loniar, et prenant l’apparence de fées nomades à bout de forces, avaient demandé l’hospitalité. Ma cousine et moi étions parties cueillir des fruits sur les vergers, à l’ouest, à près de deux kilomètres du village. Mais lorsque nous sommes revenues, le village était quasiment détruit. Les étalages étaient couchés par-terre, les maisons avaient brûlé, des cadavres gisaient au sol. Nous fîmes un tour du village pour tenter de trouver des survivants, le diagnostique n'étant pas génial. Nous avons retrouvé deux apprentis magiciens à qui j’enseignais la magie et qui s’étaient cachés dans un établis à côté de l’école, trois membres du groupe des archers gravement blessés, dont le bien-aimé de ma cousine, Farambor, et huit chevaux dont Luxus et Poussière d’Etoile. Quant à Numiel et Hirar… le feu les avait happés comme des vulgaires branches de bois sec en même temps que la cabane. Nous reperâmes les traces de pas des Fratzes : ils étaient au nombre de cinq et avaient réussi à eux seuls à détruire le village.
Nous décidâmes de partir avec les survivants, loin du village, ou plutôt de ce qu’il en restait, pour échapper aux Fratzes qui reviendraient sûrement. Ils ne laissaient jamais un village ainsi, ils le conquéraient pour agrandir leur territoire. Nous marchâmes pendant toute une journée pour finalement nous installer dans une petite clairière et dresser un campement pour soigner les blessés. Après deux semaines, nous nous sommes séparés : Dorale, Farambor et les deux autres archers partirent s’engager dans les unités d’élite de l’armée elfique du royaume de Mysiel en emportant les chevaux, avec une seule idée en tête : devenir plus fort pour venger le village. Moi, je partis de mon côté, dans la même direction que Dorale, mais sans la vitesse de progression, plus rapide, des chevaux. Je voyageais avec mes deux élèves : Nimil, un jeune magicien de douze ans, très doué mais un peu arrogant et turbulent, et sa sœur, Neriel, onze ans, plus douce et plus sage que son frère, mais ayant plus de difficultés à contrôler sa magie et réduisant souvent les salles d’entraînement en glaciers ou en volcan, ce qui faisait souvent l’objet de chamailleries inutiles des deux complices. Nous sommes partis à pieds et nous sommes déplacés pendant presque trois mois à travers les grandes prairies, jusqu’à arriver au quartier général de l'armée elfique à Sylliana.
Nimil, en plus des cours de magie, suivait un entraînement spécial destiné au maniement de l’épée. Quant à Neriel et moi, nous suivions les cours supplémentaires de magie, plus des cours doubles de maniement de l’épée et de tir à l’arc. J’avais seize ans, cela faisait six mois que nous nous entraînions dans les sections de l’armée elfique. Durant mon temps libre, après les cours, j’avais recherché des informations sur mon passé et celui de mes parents. Mais les seules choses que j’avais découvertes étaient que ma mère avait perdu la vie en me donnant naissance et mon père, lui, était un soldat de l’armée elfique, et m’avait déposé chez mon oncle pour repartir en mission ; personne ne l’avait jamais revu. Mais rien ne disait qu’il était mort… Une fois, j’avais abordé le sujet avec Hirar, mais la seule information que j’avais réussie à lui soutirer était que mon père n’avait apparement jamais voulu de moi pour une raison qui m’échappe encore.
Quelques jours avant, des messagers étaient revenus de mission dans le massif du Rajial. Ils revenaient des champs de bataille à l’ouest de la chaîne montagneuse, là où se battait Dorale, avec des informations qui ne m’ont jamais vraiment plu. Ils avaient rapporté la mort d’une trentaine de soldats et la disparition de deux archers. Inutile de vous dire que ces deux archers étaient des elfes, ces deux archers n’étaient autres que ma cousine et Farambor. Mon commandant de section, connaissant mes liens familiaux avec Dorale, et me chargea de partir à sa recherche avec Nimil et Neriel, qui m’étaient devenus très chers. Je préparai mes affaires et sellai trois étalons pour partir vers les montagnes de Rajial. Nimil montait un étalon noir, Rarion ; Neriel avait une grande jument à robe bai, Iniel, et moi un jeune étalon blanc, Ron. Sur le chemin, tout se passa bien, nous ne rencontrâmes aucun ennemi. Le temps était clément et les provisions suffisantes.
Quand nous fûmes arrivés au pied du massif, le ciel était en train de s’assombrir. Nous avions commencé l’ascension quand nous sommes tombés dans une embuscade. Cinq Fratzes nous entouraient, sûrement ceux qui avaient détruit le village. Ils portaient de longues capes rouges et noires qui couvraient tout leur corps et laissaient juste entrevoir le bas de leur beau visage. Soudain, l’un d’eux leva la main : un éclair jaillit de celle-ci. Une explosion nous jeta au sol, les chevaux s’enfuirent en hennissant et les provisions s’étalèrent à nos pieds. Deux des cinq Fratzes partirent, laissant leurs alliés terminer le travail. Un des trois restants partit s’emparer des chevaux. Les deux derniers se précipitèrent sur nous avec une vitesse incroyable. Nimil sortit son épée pour se battre et Neriel s’envola dans les airs pour lancer des sorts de feu. Quant à moi, j’eus à peine le temps de boire le contenu de ma gourde -une potion d’invisibilité- que l’un des Fratzes me lança un coutelas de glace dans les côtes. Le sang que je vis jaillir n’était autre que le mien. J’entendis Neriel crier mon nom, la dernière chose que je vis fut Neriel qui fonçait sur les Fratzes et Nimil qui venait vers moi. Puis je perdis connaissance.
J'entendais les voix de Nimil et Neriel, sans pouvoir ni bouger ni parler et cherchais mon souffle, mes yeux étaient clos et je ne parvenais pas à les ouvrir. Mes deux amis avaient un air inquiet dans la voix, celle de la jeune magicienne semblait plus railleuse que d’habitude, comme si elle était blessée. Nimil, lui, allait et venait dans tous les sens. Encore une fois, je tentai d’ouvrir les yeux et de me lever, mais deux mains masculines me reposèrent sur le sol en me priant de ne pas bouger. Lorsque j’ouvris enfin les yeux, Neriel me regardait en souriant et Nimil était assis à mes côtés, un linge mouillé dans les mains. Lorsqu’ils eurent fini de tout m’expliquer, je me rendis compte que j’étais couchée au sol dans une des chambres du quartier général de l’armée elfique. Un médecin farfouillait des fioles sur des étagères, et des bandages tachés de sang serraient mes côtes. Apparemment, Neriel nous avait protégés, Nimil et moi, grâce à un bouclier magique et nous avait ramenés au quartier général de l’armée elfique, ayant réussi à échapper aux Fratzes qui ne nous avaient pas suivis. J'avais été inconsciente pendant toute une journée, à cause des grandes pertes de sang desquels j’avais été la victime. Plus tard, lorsque je fus rétablie, Nimil, Neriel et moi reprîmes l’entraînement avec l’armée elfique, mais il m'arrivait parfois de m'évanouir à cause de ma blessure, et cela bien deux ans après. Je ne revis plus ni Dorale ni Farambor, mais l'espoir de les retrouver fleurissait en moi.
Un jour d’automne, nous étions, Neriel, Nimil et moi, dans les chambres du quartier général de l’armée elfique. Nous avions la visite du magicien du royaume de Mysiel, car il avait à me parler. D’après son ton grave, cela nous concernait tous les trois. Durant toutes mes années d’apprentissage, il avait découvert chez moi des pouvoirs plus spéciaux que d’autres. Il me conta aussi d’autres événements qu’il avait observés lorsque j’étais plus jeune, mais dont il n’avait jamais voulu m’en parler. Plusieurs fois, à environ cinq ans, sans que je m’en souvienne, j’avais, après des coups de colère, utilisé la magie dite des « sentiments ». Elle s’activait lorsque mes sentiments devenaient trop forts, et provoquait des sorts qui me faisaient perdre connaissance. Mon maître d’apprentissage me conseilla donc de continuer mes études de magie, d’épée et de tir à l’arc au château des Fardens de façon à devenir plus forte. Cette proposition n’avait que des avantages, la nouvelle puissance que me procurerait cet apprentissage me permettrait de retrouver ma cousine et Farambor. Après quelques heures passées à réfléchir, j’acceptai de partir, emmenant Neriel et Nimil avec moi, et m’en allai en direction du château des Fardens !
Lorsque j’arrivai enfin, on me donna ma chambre, l'horaire des entraînements et des repas. Les entraînements étaient longs et fatigants, mais portaient leurs fruits après plusieurs exercices, et les repas étaient copieux. La chambre était spacieuse et donnait sur une grande cour. Nimil était dans une autre chambre qu'il partageait avec Lutchi, un loup-garou. Moi, je partageais ma chambre avec Neriel et Norfidë, une fée du royaume de Miralline. Nous étions vite devenues amies et passions beaucoup de temps ensemble. Après plusieurs mois de travail et d’entraînement, j’eus dix-sept ans et l’on me nomma Farden.
Maintenant, je m'entraîne tous les jours avec les Fardens sous les ordres de mon commandant, Nérègmare, que je détestais au début à cause de ses origines -Fraten- mais, en fait, il n'est pas du tout comme les Fratzes. Et j'attends toujours de pouvoir retrouver Dorale et Farambor.